Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t5.djvu/485

Cette page a été validée par deux contributeurs.
471
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

général ; on se ratatine pour se soustraire au danger, garder ce qu’on a, vivoter en paix. Après une révolution, il reste aussi des hommes gangrenés qui communiquent à tout leur souillure, comme après une bataille il reste des cadavres qui corrompent l’air. Si, par un souhait, Henri V pouvait être transporté aux Tuileries sans dérangement, sans secousse, sans compromettre le plus léger intérêt, nous serions bien près d’une restauration ; mais, pour l’avoir, s’il faut seulement ne pas dormir une nuit, les chances diminuent.

« Les résultats des journées de Juillet n’ont tourné ni au profit du peuple, ni à l’honneur de l’armée, ni à l’avantage des lettres, des arts, du commerce et de l’industrie. L’État est devenu la proie des ministériels de profession et de cette classe qui voit la patrie dans son pot-au-feu, les affaires publiques dans son ménage : il est difficile, madame, que vous connaissiez de loin ce qu’on appelle ici le juste-milieu ; que Son Altesse Royale se figure une absence complète d’élévation d’âme, de noblesse de cœur, de dignité de caractère ; qu’elle se représente des gens gonflés de leur importance, ensorcelés de leurs emplois, affolés de leur argent, décidés à se faire tuer pour leurs pensions : rien ne les en détachera ; c’est à la vie et à la mort ; ils y sont mariés comme les Gaulois à leurs épées, les chevaliers à l’oriflamme, les huguenots au panache blanc de Henri IV, les soldats de Napoléon au drapeau tricolore ; ils ne mourront qu’épuisés de serments à tous les régimes, après en avoir versé la dernière goutte sur leur dernière place. Ces eunuques de la quasi-légitimité dog-