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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

« Les départements de l’Ouest et du Midi, qu’on a l’air de vouloir pousser à bout par l’arbitraire et la violence, conservent cet esprit de fidélité qui distingua les antiques mœurs ; mais cette moitié de la France ne conspirera jamais, dans le sens étroit de ce mot : c’est une espèce de camp au repos sous les armes. Admirable comme réserve de la légitimité, elle serait insuffisante comme avant-garde et ne prendrait jamais avec succès l’offensive. La civilisation a fait trop de progrès pour qu’il éclate une de ces guerres intestines à grands résultats, ressource et fléau des siècles à la fois plus chrétiens et moins éclairés.

« Ce qui existe en France n’est point une monarchie, c’est une république ; à la vérité, du plus mauvais aloi. Cette république est plastronnée d’une royauté qui reçoit les coups et les empêche de porter sur le gouvernement même.

« De plus, si la légitimité est une force considérable, l’élection est aussi un pouvoir prépondérant, même lorsqu’elle n’est que fictive, surtout en ce pays où l’on ne vit que de vanité : la passion française, l’égalité, est flattée par l’élection.

« Le gouvernement de Louis-Philippe se livre à un double excès d’arbitraire et d’obséquiosité auquel le gouvernement de Charles X n’avait jamais songé. On supporte cet excès, pourquoi ? Parce que le peuple supporte plus facilement la tyrannie d’un gouvernement qu’il a créé que la rigueur légale des institutions qui ne sont pas son ouvrage.

« Quarante années de tempêtes ont brisé les plus fortes âmes ; l’apathie est grande, l’égoïsme presque