Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t5.djvu/482

Cette page a été validée par deux contributeurs.
468
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Le souper eut lieu ; l’hôte du logis, qui ne l’avait préparé qu’avec l’autorisation de la police, savait à quoi s’en tenir. Les mouchards, à table, trinquaient le plus haut à la santé de Henri V ; les sergents de ville arrivèrent, empoignèrent les convives et renversèrent encore une fois la coupe de la royauté légitime. Le Renaud des aventuriers royalistes était un savetier de la rue de Seine[1], décoré de Juillet, qui s’était battu vaillamment dans les trois journées, et qui blessa grièvement, pour Henri V, un agent de police de Louis-Philippe, comme il avait tué des soldats de la garde, pour chasser le même Henri V et les deux vieux rois.

J’avais reçu, pendant cette affaire, un billet de madame la duchesse de Berry qui me nommait membre d’un gouvernement secret, qu’elle établissait en qualité de régente de France. Je profitai de cette occasion pour écrire à la princesse la lettre suivante[2]  :

« Madame,

« C’est avec la plus profonde reconnaissance que j’ai reçu le témoignage de confiance et d’estime dont vous avez bien voulu m’honorer ; il impose à ma fidélité le devoir de redoubler de zèle, en met-

  1. Louis Poncelet, dit Chevalier, âgé de 27 ans, cordonnier. Il fut le vrai chef du complot, et fit preuve, en toute cette affaire, de rares qualités d’intelligence, d’énergie et d’audace. Dans le procès, il se fit remarquer, entre tous, par la loyauté de ses réponses, habile à ne pas compromettre ses complices et peu occupé de ses propres périls. Il fut condamné à la peine de la déportation.
  2. J’ai repris quelques passages de la longue lettre pour les placer dans mes Explications sur mes 12 000 francs ; et depuis, dans mon Mémoire sur la captivité de Madame la duchesse de Berry. Ch.