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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

pour me dire que tout était prêt, que dans deux heures Louis-Philippe aurait disparu ; ils venaient s’informer s’ils pouvaient me déclarer le chef principal du gouvernement provisoire, et si je consentais à prendre, avec un conseil de régence, les rênes du gouvernement provisoire au nom de Henri V. Ils avouaient que la chose était périlleuse, mais que je n’en recueillerais que plus de gloire, et que, comme je convenais à tous les partis, j’étais le seul homme de France en position de jouer un pareil rôle.

C’était me serrer de près, deux heures pour me décider à ma couronne ! deux heures pour aiguiser le grand sabre de mameluck que j’avais acheté au Caire en 1806 ! Pourtant, je n’éprouvai aucun embarras et je leur dis : « Messieurs, vous savez que je n’ai jamais approuvé cette entreprise, qui me paraît folle. Si j’avais à m’en mêler, j’aurais partagé vos périls et n’aurais pas attendu votre victoire pour accepter le prix de vos dangers. Vous savez que j’aime sérieusement la liberté, et il m’est évident, par les meneurs de toute cette affaire, qu’ils ne veulent point de liberté, qu’ils commenceraient, demeurés maîtres du champ de bataille, par établir le règne de l’arbitraire. Ils n’auraient personne, ils ne m’auraient pas surtout pour les soutenir dans ces projets ; leur succès amènerait une complète anarchie, et l’étranger, profitant de nos discordes, viendrait démembrer la France. Je ne puis donc entrer dans tout cela. J’admire votre dévouement, mais le mien n’est pas de la même nature. Je vais me coucher ; je vous conseille d’en faire autant, et j’ai bien peur d’apprendre demain matin le malheur de vos amis. »