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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

la campagne de Rome, lors même que la scène de ses paysages est placée ailleurs, le Lorrain reproduit les ciels de Rome, lors même qu’il peint des vaisseaux et un soleil couchant sur la mer.

Que n’ai-je été le contemporain de certaines créatures privilégiées pour lesquelles je me sens de l’attrait dans les siècles divers ! Mais il m’eût fallu ressusciter trop souvent. Le Poussin et Claude le Lorrain ont passé au Capitole ; des rois y sont venus et ne les valaient pas. De Brosses[1] y rencontra le prétendant d’Angleterre ; j’y trouvai en 1803 le roi de Sardaigne abdiqué, et aujourd’hui, en 1828, j’y vois le frère de

    élever à Nicolas Poussin, dans l’église de San-Lorenzo-in-Lucina, un monument digne du grand peintre.

  1. Le président Charles de Brosses (1709-1777). Il visita l’Italie en 1739 et rencontra à Rome le prétendant d’Angleterre, Jacques-Édouard, dit le Chevalier de Saint-Georges, fils de Jacques II et père de Charles-Édouard, que rendra bientôt si célèbre son expédition de 1745 en Écosse. Les Lettres historiques et critiques écrites d’Italie, par le président de Brosses, ont paru pour la première fois en l’an VIII, 3 vol. in-8O. Sainte-Beuve les apprécie en ces termes, dans ses Causeries du Lundi (tome VII, page 81) : « Ses lettres sur l’Italie ont sur celles de Paul-Louis Courier et sur les livres du spirituel Stendhal (Beyle) un avantage durable. Venu avant eux, il est plus naturel qu’eux. Ce sentiment du beau et de l’antique, ou des merveilles pittoresques modernes, qui fait l’honneur de leur jugement, de Brosses ne se donne aucune peine pour l’avoir et pour l’exprimer : il l’a du premier bond et le rend par une promptitude heureuse. Dans cette course rapide et ce séjour de dix mois à travers l’Italie, il y a certes des côtés qu’il n’a fait qu’entrevoir en courant, et où d’autres talents trouveront matière à conquête ; la campagne romaine, par exemple, les collines d’alentour, Tibur, la Villa Adriana, sont des lieux dont Chateaubriand un jour évoquera le génie attristé et nous peindra les mélancoliques splendeurs : de Brosses reste le premier critique pénétrant, fin, gai et de grand coup d’œil, qui a bien vu dans ses contradictions et ses merveilles ce monde d’Italie. »