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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

yeux sur ces vers ; ils sont très beaux et on les trouve partout. Ma réponse n’a pas été rendue publique : elle paraît pour la première fois dans ces Mémoires. Misérables débats où aboutissent les révolutions ! Voilà à quelle lutte nous arrivons, nous faibles successeurs de ces hommes qui, les armes à la main, traitaient les grandes questions de gloire et de liberté en agitant l’univers ! Des pygmées font entendre aujourd’hui leur petit cri parmi les tombeaux des géants ensevelis sous les monts qu’ils ont renversés sur eux.

« Paris, mercredi soir, 9 novembre 1831.
« Monsieur,

« J’ai reçu ce matin le dernier numéro de la Némésis que vous m’avez fait l’honneur de m’envoyer. Pour me défendre de la séduction de ces éloges donnés avec tant d’éclat, de grâce et de charme[1], j’ai besoin de me rappeler les obstacles qui s’élèvent entre nous. Nous vivons dans deux mondes à part ; nos espérances et nos craintes ne sont pas les

    dépasser. Rarement a-t-on mis plus beau talent au service d’opinions plus détestables.

  1. L’auteur de Némésis, en effet, n’avait pas ménagé les éloges au chantre des Martyrs :

    Le monde des beaux-arts, à peine renaissant,
    Se débattait encor dans son limon de sang ;
    Ce chaos attendait ta parole future ;
    Tu dis le Fiat lux de la littérature……
    Autour de ton soleil, roi de l’immensité,
    Mon obscure planète a longtemps gravité.

    Et plus loin venait cette apostrophe à la vague de l’Archipel :

    Car depuis l’âge antique où, sur toutes ces mers,
    Homère allait semant ses héroïques vers,
    Jamais tu ne portas de Corinthe en Asie
    Un homme, un voyageur, plus grand de poésie