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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

dresser quelques paroles aux hommes de l’exil ? Ils sont rentrés dans la douleur comme dans le sein de leur mère : le malheur, séduction dont j’ai peine à me défendre, me semble avoir toujours raison ; je crains de blesser son autorité sainte et la majesté qu’il ajoute à des grandeurs insultées, qui désormais n’ont plus que moi pour flatteur. Mais je surmonterai ma faiblesse, je m’efforcerai de faire entendre un langage qui, dans un jour d’infortune, pourrait préparer une espérance à ma patrie.

« L’éducation d’un prince doit être en rapport avec la forme du gouvernement et les mœurs de son pays. Or, il n’y a en France ni chevalerie, ni chevaliers, ni soldats de l’oriflamme, ni gentilshommes bardés de fer, prêts à marcher à la suite du drapeau blanc. Il y a un peuple qui n’est plus le peuple d’autrefois, un peuple qui, changé par les siècles, n’a plus les anciennes habitudes et les antiques mœurs de nos pères. Qu’on déplore ou qu’on glorifie les transformations sociales advenues, il faut prendre la nation telle qu’elle est, les faits tels qu’ils sont, entrer dans l’esprit de son temps, afin d’avoir action sur cet esprit.

« Tout est dans la main de Dieu, excepté le passé qui, une fois tombé de cette main puissante, n’y rentre plus.

« Arrivera sans doute le moment où l’orphelin sortira de ce château des Stuarts, asile de mauvais augure qui semble étendre l’ombre de la fatalité sur sa jeunesse : le dernier-né du Béarnais doit se mêler aux enfants de son âge, aller aux écoles publiques, apprendre tout ce que l’on sait aujourd’hui. Qu’il