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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Près de la barrière des Martyrs, sous Montmartre, on voit la rue de la Tour-d’Auvergne. Dans cette rue, à moitié bâtie, à demi pavée, dans une petite maison retirée derrière un petit jardin et calculée sur la modicité des fortunes actuelles, vous trouverez l’illustre chansonnier. Une tête chauve, un air un peu rustique, mais fin et voluptueux, annoncent le poète. Je repose avec plaisir mes yeux sur cette figure plébéienne, après avoir regardé tant de faces royales ; je compare ces types si différents : sur les fronts monarchiques on voit quelque chose d’une nature élevée, mais flétrie, impuissante, effacée ; sur les fronts démocratiques paraît une nature physique commune, mais on reconnaît une nature intellectuelle, haute : le front monarchique a perdu la couronne ; le front populaire l’attend.

Je priais un jour Béranger (qu’il me pardonne s’il me rend aussi familier que sa renommée), je le priais de me montrer quelques-uns de ses ouvrages inconnus : « Savez-vous, me dit-il, que j’ai commencé par être votre disciple ? j’étais fou du Génie du Christianisme et j’ai fait des idylles chrétiennes : ce sont des scènes de curé de campagne, des tableaux du culte dans les villages et au milieu des moissons. »

M. Augustin Thierry m’a dit que la bataille des Francs dans les Martyrs lui avait donné l’idée d’une nouvelle manière d’écrire l’histoire : rien ne m’a plus flatté que de trouver mon souvenir placé au commencement du talent de l’historien Thierry et du poète Béranger.

Notre chansonnier a les diverses qualités que Vol-