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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

après les révolutions, des hommes supérieurs meurent délaissés : leur public s’est retiré.

M. Carrel n’est pas heureux : rien de plus positif que ses idées, rien de plus romanesque que sa vie. Volontaire républicain en Espagne en 1823, pris sur le champ de bataille, condamné à mort par les autorités françaises, échappé à mille dangers, l’amour se trouve mêlé aux troubles de son existence privée. Il lui faut protéger une passion qui soutient sa vie[1] ; et cet homme de cœur, toujours prêt au grand jour à se jeter sur la pointe d’une épée, met devant lui des guichets et les ombres de la nuit ; il se promène dans les campagnes silencieuses avec une femme aimée, à cette première aube où la diane l’appelait à l’attaque des tentes de l’ennemi.

Je quitte M. Armand Carrel pour tracer quelques mots sur notre célèbre chansonnier. Vous trouverez mon récit trop court, lecteur, mais j’ai droit à votre indulgence : son nom et ses chansons doivent être gravés dans votre mémoire.

M. de Béranger n’est pas obligé, comme M. Carrel, de cacher ses amours. Après avoir chanté la liberté et les vertus populaires en bravant la geôle des rois, il met ses amours dans un couplet, et voilà Lisette immortelle.

  1. Cette passion à laquelle fait ici allusion Chateaubriand changea peut-être le cours de la vie de Carrel. Au lendemain de la révolution de Juillet, le 29 août 1830, il fut nommé préfet du Cantal. Il refusa, non qu’il fût républicain à cette date, mais parce que sa liaison avec une femme mariée, dont il ne se voulait pas séparer, lui rendait impossible l’acceptation de fonctions publiques en province.