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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

partenait à la France ; Bonaparte brillait dans toute sa gloire, madame de Staël dans toute la sienne ; il n’était pas plus question des Bourbons que s’ils n’eussent jamais existé. Et Bonaparte, et madame de Staël, et les Bourbons, que sont-ils devenus ? et moi, je suis encore là !

M. de Constant, cousin de Benjamin Constant, et mademoiselle de Constant, vieille fille pleine d’esprit, de vertu et de talent, habitent leur cabane de Souterre au bord du Rhône ; ils sont dominés par une autre maison de campagne jadis à M. de Constant : il l’a vendue à la princesse Belgiojoso[1], exilée milanaise que j’ai vue passer comme une pâle fleur à travers la fête que je donnai à Rome à la grande-duchesse Hélène.

Pendant mes promenades en bateau, un vieux rameur me raconte ce que faisait lord Byron, dont on aperçoit la demeure sur la rive savoyarde du lac. Le noble pair attendait qu’une tempête s’élevât pour naviguer ; du bord de sa balancelle, il se jetait à la nage et allait au milieu du vent aborder aux prisons féo-

  1. Christine Trivulzio, princesse de Belgiojoso (1808-1871). Elle se fixa de bonne heure à Paris, où elle se fit remarquer par sa beauté, son esprit, l’indépendance de ses opinions, et aussi l’indépendance de sa vie. Elle devint l’amie de plusieurs écrivains célèbres, particulièrement d’Alfred de Musset et de M. Mignet. En 1848, elle se jeta avec ardeur dans le mouvement révolutionnaire, courut à Milan qui venait de s’insurger, et leva à ses frais un bataillon de volontaires. Douée d’un véritable talent d’écrivain, elle a publié de nombreux ouvrages : Asie Mineure et Syrie ; Emina, récits turco-asiatiques ; Scènes de la vie turque ; Histoire de la maison de Savoie, etc. S’il faut en croire Balzac (Revue parisienne, p. 333), Stendhal, dans la Chartreuse de Parme, aurait tracé, d’après la princesse de Belgiojoso, le portrait de son héroïne, la duchesse de San-Severino.