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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

« Il ne manquait plus à notre glorieuse patrie, pour avoir passé par toutes les misères, que d’avoir un gouvernement de couards ; elle l’a, et la jeunesse va s’engloutir dans la doctrine, la littérature et la débauche, selon le caractère particulier des individus. Reste le chapitre des accidents ; mais quand on traîne, comme je le fais, sur le chemin de la vie, l’accident le plus probable c’est la fin du voyage.

« Je ne travaille point, je ne puis rien faire : je m’ennuie ; c’est ma nature et je suis comme un poisson dans l’eau : si pourtant l’eau était un peu moins profonde, je m’y plairais peut-être mieux. »

Aux Pâquis, près Genève.
JOURNAL DU 12 JUILLET AU 1er SEPTEMBRE 1831.

Je suis établi aux Pâquis[1] avec madame de Chateaubriand[2] ; j’ai fait la connaissance de M. Rigaud, premier syndic de Genève : au-dessus de sa maison, au bord du lac, en remontant le chemin de Lausanne, on trouve la villa de deux commis de M. de Lapanouze, qui ont dépensé 1 500 000 francs à la faire bâtir et à planter leurs jardins. Quand je passe à pied devant leur demeure, j’admire la Providence qui, dans eux et dans moi, a placé à Genève des témoins de la Restauration. Que je suis bête ! que je suis bête ! le sieur de Lapanouze faisait du royalisme et de la misère avec

  1. Nom d’un quartier de Genève. Les Pâquis s’étendent sur la rive droite du lac, de la rue du Mont-Blanc à peu près à la route de Lausanne.
  2. Voir, à l’Appendice, le no VIII : Lettres de Genève.