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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

recherches, de soins et d’années, celui où j’ai peut-être remué le plus d’idées et de faits, paraît lorsqu’il ne peut trouver de lecteurs ; c’est comme si je le jetais dans un puits, où il va s’enfoncer sous l’amas de décombres qui le suivront. Quand une société se compose et se décompose, quand il y va de l’existence de chacun et de tous, quand on n’est pas sûr d’un avenir d’une heure, qui se soucie de ce que fait, dit et pense son voisin ? Il s’agit bien de Néron, de Constantin, de Julien, des Apôtres, des Martyrs, des Pères de l’Église, des Goths, des Huns, des Vandales, des Francs, de Clovis, de Charlemagne, de Hugues Capet et de Henri IV ; il s’agit bien du naufrage de l’ancien monde, lorsque nous nous trouvons engagés dans le naufrage du monde moderne ! N’est-ce pas une sorte de radotage, une espèce de faiblesse d’esprit, que de s’occuper de lettres dans ce moment ? Il est vrai ; mais ce radotage ne tient pas à mon cerveau, il vient des antécédents de ma méchante fortune. Si je n’avais pas tant fait de sacrifices aux libertés de mon pays, je n’aurais pas été obligé de contracter des engagements qui s’achèvent de remplir dans des circonstances doublement déplorables pour moi. Aucun auteur n’a été mis à une pareille épreuve ; grâce à Dieu, elle est à son terme : je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mépriser cette vie que je dédaignais dans ma jeunesse.

« Après ces plaintes bien naturelles et qui me sont involontairement échappées, une pensée me vient consoler ; j’ai commencé ma carrière littéraire par un ouvrage où j’envisageais le christianisme sous