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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

core massacrer, mais vous ne mettriez plus la main à la besogne. Si vous voulez que la révolution de juillet soit grande et reste grande, que M. Cadet de Gassicourt n’en soit pas le héros réel, et Mayeux, le personnage idéal[1] !

  1. Les caricaturistes et les petits journaux, en l’an de grâce 1831, avaient fait du bossu Mayeux le type grotesque de notre versatilité politique, et ils avaient mis sur son dos toutes les bévues, tous les ridicules du bourgeois de Paris, tel du moins qu’il leur plaisait de le voir. D’après eux, né le 14 juillet 1789, à Paris, pendant que son père était occupé à la prise de la Bastille, il s’était successivement appelé Messidor-Napoléon-Louis-Charles-Philippe Mayeux, selon les noms des divers régimes qu’il avait, tour à tour, épousés ou répudiés. Jusqu’en 1830, il n’avait pas fait beaucoup parler de lui, mais le soleil de Juillet l’avait enfin mis dans tout son jour. Peu de temps auparavant, il avait reçu un outrage, que la lithographie avait rendu public et dont il s’était promis de tirer vengeance. Un grenadier à cheval de la garde royale, haut monté sur ses bottes à l’écuyère, ne l’avait pas aperçu derrière une borne, et avait ri de lui, lorsqu’il s’était écrié : « Prenez donc garde, militaire, il y a un homme devant vous. » Aussi, dès le 27 juillet, Mayeux était descendu des premiers dans la rue ; sur sept gendarmes tués ce jour-là, il en avait à lui seul abattu quarante. Sa gloire depuis ce moment ne connut plus de bornes, et ses succès ne se comptèrent plus. C’est à cette époque qu’il faut placer toutes ces aventures galantes, que les dessinateurs ont fort indiscrètement révélées. Ce fut là son bon temps, ce qu’il se plaisait lui-même, car il savait un peu d’histoire, à nommer sa Régence. Mais sa véritable occupation était la politique, l’entreprise volontaire et gratuite de l’opinion publique. Pendant un an, Paris ne vit, ne parla, ne pensa, ne jura surtout, que par Mayeux. Mayeux était partout à la fois, avec l’émeute et contre elle, ici avec un chapeau verni, là avec un bonnet à poil, tour à tour républicain, bonapartiste, juste-milieu. Il ne lui manquait, avec cela, que d’être carliste ; mais il n’en voulait point entendre parler, fidèle à son ressentiment contre le grenadier à cheval de la garde royale. Mayeux était garde national ; c’est ce qui l’a tué. Un jour, il fut, tout d’une voix, rayé des contrôles comme coupable de faire rire les bisets sous les armes. Il mourait de douleur et de honte, quelques