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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

gitimistes n’étaient pas assez forts pour s’y opposer, et le gouvernement n’était pas assez établi pour maintenir l’ordre ; aussi l’église a-t-elle été pillée. Un apothicaire voltairien et progressif[1] a triomphé intrépidement d’un clocher de l’an 1300 et d’une croix déjà abattue par d’autres Barbares vers la fin du ixe siècle.

Comme suite des hauts faits de cette pharmaceutique éclairée, sont arrivées la dévastation de l’archevêché, la profanation des choses saintes et les processions renouvelées de celles de Lyon. Il y manquait le bourreau et les victimes ; mais il y avait force polichinelles, masques et diverses joies du carnaval. Le cortège burlesquement sacrilège marchait d’un côté de la Seine, tandis que, de l’autre, défilait la garde nationale, qui faisait semblant d’accourir au secours. La rivière séparait l’ordre et l’anarchie. On assure qu’un homme de talent était là comme curieux et qu’il disait, en voyant flotter les chasubles et les livres sur la Seine : « Quel dommage qu’on n’y ait pas jeté l’archevêque ! » Mot profond, car, en effet, un archevêque qu’on noie doit être une chose plaisante ; cela fait faire un si grand pas à la liberté et aux lumières ! Nous, vieux témoins des vieux faits, nous sommes obligés de vous dire que vous n’apercevez là que de pâles et misérables copies. Vous avez encore l’instinct révolutionnaire, mais vous n’en avez plus l’énergie ; vous ne pouvez être criminels qu’en imagination ; vous voudriez faire le mal, mais le courage vous manque au cœur et la force au bras ; vous verriez en-

  1. M. Cadet de Gassicourt, sur lequel Chateaubriand aura tout à l’heure occasion de revenir et qu’il s’est chargé de rendre immortel, à l’égal de son prédécesseur, Monsieur Purgon.