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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

tons-nous à la tête de la grande levée du genre humain ; ne nous laissons pas dépasser ; que le nom français devance les autres dans cette croisade, comme il arriva jadis au tombeau du Christ. » Oui, si j’étais admis au conseil de ma patrie, je tâcherais de lui être utile dans les dangereux principes qu’elle a adoptés : la retenir à présent, ce serait la condamner à une mort ignoble. Je ne me contenterais pas de discours : joignant les œuvres à la foi, je préparerais des soldats et des millions, je bâtirais des vaisseaux, comme Noé, en prévision du déluge, et si l’on me demandait pourquoi, je répondrais : « Parce que tel est le bon plaisir de la France. » Mes dépêches avertiraient les cabinets de l’Europe que rien ne remuera sur le globe sans notre intervention ; que si l’on se distribue les lambeaux du monde, la part du lion nous revient. Nous cesserions de demander humblement à nos voisins la permission d’exister ; le cœur de la France battrait libre, sans qu’aucune main osât s’appliquer sur ce cœur pour en compter les palpitations ; et puisque nous cherchons de nouveaux soleils, je me précipiterais au-devant de leur splendeur et n’attendrais plus le lever naturel de l’aurore.

Fasse le ciel que ces intérêts industriels, dans lesquels nous devons trouver une prospérité d’un genre nouveau, ne trompent personne, qu’ils soient aussi féconds, aussi civilisateurs que ces intérêts moraux d’où sortit l’ancienne société ! Le temps nous apprendra s’ils ne seraient point le songe infécond de ces intelligences stériles qui n’ont pas la faculté de sortir du monde matériel.

Bien que mon rôle ait fini avec la légitimité, tous