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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

le mouvement de ma déplaisance des troubles de 1830 ; je me défiais de moi-même, et peut-être, dans mon impartialité trop loyale, exagérai-je les provenances futures des trois journées. Or, dix années se sont écoulées depuis la chute de Charles X : Juillet s’est-il assis ? Nous sommes maintenant au commencement de décembre 1840, à quel abaissement la France est-elle descendue ! Si je pouvais goûter quelque plaisir dans l’humiliation d’un gouvernement d’origine française, j’éprouverais une sorte d’orgueil à relire, dans le Congrès de Vérone, ma correspondance avec M. Canning : certes, ce n’est pas celle dont on vient de donner connaissance à la Chambre des députés. D’où vient la faute ? est-elle du prince élu ? est-elle de l’impéritie de ses ministres ? est-elle de la nation même, dont le caractère et le génie paraissent usés ? Nos idées sont progressives, mais nos mœurs les soutiennent-elles ? Il ne serait pas étonnant qu’un peuple âgé de quatorze siècles, qui a terminé cette longue carrière par une explosion de miracles, fût arrivé à son terme. Si vous allez jusqu’à la fin de ces Mémoires, vous verrez qu’en rendant justice à tout ce qui m’a paru beau aux diverses époques de notre histoire, je pense qu’en dernier résultat la vieille société finit[1].

Ici se termine ma carrière politique, Cette carrière devait aussi clore mes Mémoires, n’ayant plus qu’à résumer les expériences de ma course. Trois catastrophes ont marqué les trois parties précédentes de ma vie : j’ai vu mourir Louis XVI pendant ma carrière de voyageur et de soldat ; au bout de ma carrière litté-

  1. (Note. Paris, 3 décembre 1840.) Ch.