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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

et sa sœur s’amusaient dans la cour avec les poulets et les pigeons de l’auberge. Je l’avais dit : la monarchie s’en allait, et l’on se mettait à la fenêtre pour la voir passer.

Le ciel en ce moment se plut à insulter le parti vainqueur et le parti vaincu. Tandis que l’on soutenait que la France entière avait été indignée des ordonnances, il arrivait au roi Philippe des adresses de la province, envoyées au roi Charles X pour féliciter celui-ci sur les mesures salutaires qu’il avait prises et qui sauvaient la monarchie.

Le bey de Tittery, de son côté, expédiait au monarque détrôné, qui cheminait vers Cherbourg, la soumission suivante :

« Au nom de Dieu, etc., etc., je reconnais pour seigneur et souverain absolu le grand Charles X, le victorieux ; je lui payerai le tribut, etc. » On ne peut se jouer plus ironiquement de l’une et de l’autre fortune. On fabrique aujourd’hui les révolutions à la machine ; elles sont faites si vite qu’un monarque, roi encore sur la frontière de ses États, n’est déjà plus qu’un banni dans sa capitale.

Dans cette insouciance du pays pour Charles X, il y a autre chose que de la lassitude : il y faut reconnaître le progrès de l’idée démocratique et de l’assimilation des rangs. À une époque antérieure, la chute d’un roi de France eût été un événement énorme ; le temps a descendu le monarque de la hauteur où il était placé, il l’a rapproché de nous, il a diminué l’espace qui le séparait des classes populaires. Si l’on était peu surpris de rencontrer le fils de saint Louis sur le grand chemin comme tout le monde,