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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Plusieurs pairs semblaient anéantis ; ils s’enfonçaient dans leur fauteuil au point que je ne les voyais plus derrière leurs collègues assis immobiles devant eux. Ce discours eut quelque retentissement : tous les partis y étaient blessés, mais tous se taisaient, parce que j’avais placé auprès des grandes vérités un grand sacrifice. Je descendis de la tribune ; je sortis de la salle, je me rendis au vestiaire, je mis bas mon habit de pair, mon épée, mon chapeau à plumet ; j’en détachai la cocarde blanche, je la mis dans la petite poche du côté gauche de la redingote noire que je revêtis et que je croisai sur mon cœur. Mon domestique emporta la défroque de la pairie, et j’abandonnai, en secouant la poussière de mes pieds, ce palais des trahisons, où je ne rentrerai de ma vie.

Le 10 et le 12 août, j’achevai de me dépouiller et j’envoyai ces diverses démissions :

« Paris, ce 10 août 1830.
« Monsieur le président de la Chambre des pairs[1],

« Ne pouvant prêter serment de fidélité à Louis-Philippe d’Orléans comme roi des Français, je me

  1. Le président de la Chambre des pairs était alors, et depuis le 4 août, le baron Pasquier. On lit dans ses Mémoires, t. VI, p. 331 : « M. Pastoret ayant donné sa démission de chancelier et de président de la Chambre des pairs, il fallut pourvoir à son remplacement ; le choix était tombé sur moi. Je pourrais dire que ce n’était pas une affaire de préférence, tous les membres de la Chambre en état de la présider se trouvant ou absents ou dans des positions qui ne permettaient pas de penser à eux. J’hésitai beaucoup avant d’accepter, mais la conservation de la Chambre des pairs était pour le pays de la plus haute importance. Je la savais menacée ; cette considération me décida. Je pris possession du fauteuil à la séance du 4 août… »