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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

gouvernement, et qu’une monarchie peut être libre et beaucoup plus libre qu’une république ; mais ce n’est ni le temps ni le lieu de faire un cours de politique.

« Je me contenterai de remarquer que, lorsque le peuple a disposé des trônes, il a souvent aussi disposé de sa liberté ; je ferai observer que le principe de l’hérédité monarchique, absurde au premier abord, a été reconnu, par l’usage, préférable au principe de la monarchie élective. Les raisons en sont si évidentes, que je n’ai pas besoin de les développer. Vous choisissez un roi aujourd’hui : qui vous empêchera d’en choisir un autre demain ? La loi, direz-vous. La loi ? et c’est vous qui la faites !

« Il est encore une manière plus simple de trancher la question, c’est de dire : Nous ne voulons plus de la branche aînée des Bourbons. Et pourquoi n’en voulez-vous plus ? Parce que nous sommes victorieux ; nous avons triomphé dans une cause juste et sainte ; nous usons d’un droit de double conquête.

« Très-bien : vous proclamez la souveraineté de la force. Alors gardez soigneusement cette force ; car si dans quelques mois elle vous échappe, vous serez mal venus à vous plaindre. Telle est la nature humaine ! Les esprits les plus éclairés et les plus justes ne s’élèvent pas toujours au-dessus d’un succès. Ils étaient les premiers, ces esprits, à invoquer le droit contre la violence ; ils appuyaient ce droit de toute la supériorité de leur talent, et, au moment même où la vérité de ce qu’ils disaient est démontrée par l’abus le plus abominable de la force et par le renversement de cette force, les vainqueurs s’em-