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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

de lui, chemin faisant, quelques paroles protectrices. Il souriait au général Gérard, faisait des signes d’intelligence à M. Viennet et à M. Méchin, mendiait la couronne en quêtant le peuple avec son chapeau orné d’une aune de ruban tricolore, tendant la main à quiconque voulait en passant aumôner cette main. La monarchie ambulante arrive sur la place de Grève, où elle est saluée des cris : Vive la République !

Quand la matière électorale royale pénétra dans l’intérieur de l’Hôtel de Ville, des murmures plus menaçants accueillirent le postulant : quelques serviteurs zélés qui criaient son nom reçurent des gourmades. Il entre dans la salle du Trône ; là se pressaient les blessés et les combattants des trois journées : une exclamation générale : Plus de Bourbons ! Vive La Fayette ! ébranla les voûtes de la salle. Le prince en parut troublé. M. Viennet lut à haute voix pour M. Laffitte la déclaration des députés ; elle fut écoutée dans un profond silence. Le duc d’Orléans prononça quelques mots d’adhésion. Alors M. Dubourg dit rudement à Philippe : « Vous venez de prendre de grands engagements. S’il vous arrivait jamais d’y manquer, nous sommes gens à vous les rappeler. » Et le roi futur de répondre tout ému : « Monsieur, je suis honnête homme. » M. de la Fayette, voyant l’incertitude croissante de l’assemblée, se mit tout à coup en tête d’abdiquer la présidence : il donne au duc d’Orléans un drapeau tricolore, s’avance sur le balcon de l’Hôtel de Ville, et embrasse le prince aux yeux de la foule ébahie, tandis que celui-ci agitait le drapeau national. Le baiser républicain de La Fayette