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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Et cependant M. Thiers, envoyé par M. Laffitte, chevauchait vers Neuilly avec M. Scheffer[1] : S. A. R. n’y était pas. Grands combats de paroles entre mademoiselle d’Orléans et M. Thiers : il fut convenu qu’on écrirait à M. le duc d’Orléans pour le décider à se rallier à la révolution. M. Thiers écrivit lui-même un mot au prince, et madame Adélaïde promit de devancer sa famille à Paris. L’orléanisme avait fait des progrès, et, dès le soir même de cette journée, il fut question parmi les députés de conférer les pouvoirs de lieutenant général à M. le duc d’Orléans.

M. de Sussy, avec les ordonnances de Saint-Cloud, avait été encore moins bien reçu à l’Hôtel de Ville qu’à la Chambre des députés. Muni d’un récépissé de M. de La Fayette, il revint trouver M. de Mortemart qui s’écria : « Vous m’avez sauvé plus que la vie ; vous m’avez sauvé l’honneur. »

La commission municipale fit une proclamation

    « Le duc d’Orléans s’est prononcé ; il accepte la Charte comme nous l’avons toujours voulue et entendue.

    « C’est du peuple français qu’il tiendra sa couronne. »

    « Cette dernière phrase fut immédiatement modifiée ainsi qu’il suit dans un second placard :

    « Le duc d’Orléans ne se prononce pas ; il attend notre vœu ; proclamons ce vœu, il acceptera la Charte comme nous l’avons toujours entendue et voulue. »

    Le duc de Broglie ajoute : « D’où provenaient ces placards ? On sait aujourd’hui qu’ils étaient l’œuvre de MM. Thiers et Mignet, et que le libraire Paulin, fort de leurs amis, donna ses soins à l’impression et à l’affichage. M. Laffitte était-il dans le secret ? Il y a lieu de le présumer. » (Souvenirs du feu duc de Broglie, tome III, p. 314.)

  1. Ary Scheffer (1785-1858). Dès 1821, il avait été choisi pour donner des leçons de peinture aux jeunes princes d’Orléans, auxquels il resta toujours très attaché. La princesse Marie, en mourant, lui légua tous ses dessins.