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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Vive le général Dubourg ! criait le peuple, devant qui ce nom n’avait jamais retenti.[1] »

Un autre spectacle m’attendait à quelques pas de là : une fosse était creusée devant la colonnade du Louvre ; un prêtre, en surplis et en étole, disait des prières au bord de cette fosse : on y déposait les morts. Je me découvris et fis le signe de la croix. La foule silencieuse regardait avec respect cette cérémonie, qui n’eût rien été si la religion n’y avait comparu. Tant de souvenirs et de réflexions s’offraient à moi, que je restais dans une complète immobilité. Tout à coup je me sens pressé ; un cri part : « Vive le défenseur de la liberté de la presse ! » Mes cheveux m’avaient fait reconnaître. Aussitôt des jeunes gens me saisissent et me disent : « Où allez-vous ? nous allons vous porter. » Je ne savais que répondre ; je remerciais ; je me débattais ; je suppliais de me laisser aller. L’heure de la réunion à la Chambre des pairs n’était pas encore arrivée. Les jeunes gens ne cessaient de crier : « Où

  1. J’ai reçu, le 9 janvier de cette année 1841, une lettre de M. Dubourg ; on y lit ces phrases : « Combien j’ai désiré vous voir depuis notre rencontre sur le quai du Louvre ! Combien de fois j’ai désiré verser dans votre sein les chagrins qui déchiraient mon âme ! Qu’on est malheureux d’aimer avec passion son pays, son honneur, sa gloire, quand l’on vit à une telle époque !…

    « Avais-je tort, en 1830, de ne pas vouloir me soumettre à ce que l’on faisait ! Je voyais clairement l’avenir odieux que l’on préparait à la France, j’expliquais comment le mal seul pouvait surgir d’arrangements politiques aussi frauduleux ; mais personne ne me comprenait ».

    Le 5 juillet de cette même année 1841, M. Dubourg m’écrivait encore pour m’envoyer le brouillon d’une note qu’il adressait en 1828 à MM. de Martignac et de Caux pour les engager à me faire entrer au Conseil. Je n’ai donc rien avancé sur M. Dubourg qui ne soit de la plus exacte vérité. (Paris, note de 1841). Ch.