Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t5.djvu/334

Cette page a été validée par deux contributeurs.
320
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

me montrant le Louvre, ils étaient là-dedans douze cents : nous leur en avons flanqué des pruneaux dans le derrière ! et de courir, et de courir !… » Les aides de camp de M. Dubourg éclatent en gros rires ; et la tourbe de rire à l’unisson, et le général de piquer sa mazette qui caracolait comme une bête éreintée, suivie de deux autres Rossinantes glissant sur le pavé et prêtes à tomber sur le nez entre les jambes de leurs cavaliers.

Ainsi, superbement emporté, m’abandonna le Diomède de l’Hôtel de Ville, brave d’ailleurs et spirituel. J’ai vu des hommes qui, prenant au sérieux toutes les scènes de 1830, rougissaient à ce récit, parce qu’il déjouait un peu leur héroïque crédulité. J’étais moi-même honteux en voyant le côté comique des révolutions les plus graves et de quelle manière on peut se moquer de la bonne foi du peuple.

M. Louis Blanc, dans le premier volume de son excellente Histoire de dix ans[1], publiée après ce que je viens d’écrire ici, confirme mon récit : « Un homme, dit-il, d’une taille moyenne, d’une figure énergique, traversait en uniforme de général et suivi par un grand nombre d’hommes armés, le marché des Innocents. C’était de M. Évariste Dumoulin, rédacteur du Constitutionnel, que cet homme avait reçu son uniforme, pris chez un fripier ; et les épaulettes qu’il portait lui avaient été données par l’acteur Perlet : elles venaient du magasin de l’Opéra-Comique. Quel est ce général ? demandait-on de toutes parts. Et quand ceux qui l’entouraient avaient répondu : « C’est le général Dubourg, »

  1. Tome I, p. 244.