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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

me prononce pas positivement sur la question de dynastie ; je dirai seulement qu’il serait trop commode pour un roi de faire mitrailler son peuple et d’en être quitte pour dire ensuite : Il n’y a rien de fait. »

Benjamin Constant, qui ne se prononçait pas positivement sur la question de dynastie, aurait-il terminé sa phrase de la même manière si on lui eût fait entendre auparavant des paroles convenables à ses talents et à sa juste ambition ? Je plains sincèrement un homme de courage et d’honneur comme M. de Mortemart, quand je viens à penser que la monarchie légitime a peut-être été renversée parce que le ministre chargé des pouvoirs du roi n’a pu rencontrer dans Paris deux députés, et que, fatigué d’avoir fait trois lieues à pied, il s’est écorché le talon. L’ordonnance de nomination à l’ambassade de Saint-Pétersbourg a remplacé pour M. de Mortemart les ordonnances de son vieux maître. Ah ! comment ai-je refusé à Louis-Philippe d’être son ministre des affaires étrangères ou de reprendre ma bien-aimée ambassade de Rome ? Mais, hélas ! de ma bien-aimée, qu’en eussé-je fait au bord du Tibre ? J’aurais toujours cru qu’elle me regardait en rougissant.

Le 30 au matin, ayant reçu le billet du grand référendaire qui m’invitait à la réunion des pairs, au Luxembourg, je voulus apprendre auparavant quelques nouvelles. Je descendis par la rue d’Enfer, la place Saint-Michel et la rue Dauphine. Il y avait encore un peu d’émotion autour des barricades ébréchées. Je comparais ce que je voyais au grand mouvement révo-