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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Repoussé de Charles X, ma pensée se porta vers la Chambre des pairs ; elle pouvait, en qualité de cour souveraine, évoquer le procès et juger le différend. S’il n’y avait pas sûreté pour elle dans Paris, elle était libre de se transporter à quelque distance, même auprès du roi, et de prononcer de là un grand arbitrage. Elle avait des chances de succès ; il y en a toujours dans le courage. Après tout, en succombant, elle aurait subi une défaite utile aux principes. Mais aurais-je trouvé dans cette Chambre vingt hommes prêts à se dévouer ? Sur ces vingt hommes, y en avait-il quatre qui fussent d’accord avec moi sur les libertés publiques ?

Les assemblées aristocratiques règnent glorieusement lorsqu’elles sont souveraines et seules investies, de droit et de fait, de la puissance : elles offrent les plus fortes garanties, mais, dans les gouvernements mixtes, elles perdent leur valeur et sont misérables quand arrivent les grandes crises… Faibles contre le roi, elles n’empêchent pas le despotisme ; faibles contre le peuple, elles ne préviennent pas l’anarchie. Dans les commotions publiques, elles ne rachètent leur existence qu’au prix de leurs parjures ou de leur esclavage. La Chambre des lords sauva-t-elle Charles Ier ? sauva-t-elle Richard Cromwell, auquel elle avait prêté serment ? Sauva-t-elle Jacques II ? Sauvera-t-elle aujourd’hui les princes de Hanovre ? Se sauvera-t-elle elle-même ? Ces prétendus contre-poids aristocratiques ne font qu’embarrasser la balance, et seront jetés tôt ou tard hors du bassin. Une aristocratie ancienne et opulente, ayant l’habitude des affaires, n’a qu’un moyen de garder le pouvoir quand il lui échappe :