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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

son service comme capitaine des cent-suisses : il ne put parler au roi que le lendemain. À onze heures, le 29, il fit quelques tentatives auprès de Charles X, afin de l’engager à rappeler les ordonnances ; le roi lui dit : « Je ne veux pas monter en charrette comme mon frère ; je ne reculerai pas d’un pied. » Quelques minutes après, il allait reculer d’un royaume.

Les ministres étaient arrivés : MM. de Sémonville, d’Argout[1], Vitrolles, se trouvaient là. M. de Sémonville raconte qu’il eut une longue conversation avec le roi ; qu’il ne parvint à l’ébranler dans sa résolution qu’après avoir passé par son cœur en lui parlant des dangers de madame la Dauphine. Il lui dit : « Demain, à midi, il n’y aura plus ni roi, ni dauphin, ni duc de Bordeaux. » Et le roi lui répondit : « Vous me donnerez bien jusqu’à une heure. » Je ne crois pas un mot de tout cela. La hâblerie est notre défaut : interrogez un Français et fiez-vous à ses récits, il aura toujours tout fait. Les ministres entrèrent chez le roi après M. de Sémonville ; les ordonnances furent rapportées, le ministère dissous, M. de Mortemart nommé président du nouveau conseil.

Dans la capitale, le parti républicain venait enfin

  1. Apollinaire-Antoine-Maurice, comte d’Argout (1782-1858). Il était pair de France depuis 1819, et comme son collègue M. de Sémonville, il appartenait à la droite modérée. De 1830 à 1836, il fut plusieurs fois ministre et détint successivement les portefeuilles de la Marine, du Commerce et des Travaux publics, de l’Intérieur et des Finances. Durant ces six années, le nez de M. d’Argout ne cessa de servir de cible aux flèches de la Caricature et du Charivari et aux épingles de la Mode et du Corsaire. Renonçant enfin aux ministères, il se réfugia dans le poste moins tourmenté de gouverneur de la Banque de France. Il est mort sénateur du second Empire.