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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

JOURNÉE CIVILE DU 29 JUILLET.

M. le duc de Mortemart[1] était arrivé à Saint-Cloud le mercredi 28, à dix heures du soir, pour prendre

    pertes des deux côtés ; l’élève Vaneau tomba mortellement frappé. Les insurgés envoyèrent un parlementaire : on ne le reçut pas, et le drapeau noir fut arboré. Alors les émeutiers résolurent de recourir à L’incendie, afin de forcer les Suisses à se rendre devant cet ennemi qu’on appelle le feu ; des bottes de paille et des fagots arrosés de térébenthine furent allumés… La flamme et la fumée aveuglèrent bientôt les assiégés ; secondés par les lieutenants Halter, Couteau et Saunteron, ils tentèrent d’opérer une sortie et s’élancèrent à travers la flamme, la baïonnette en avant. Les insurgés se précipitèrent vers eux, et un combat corps à corps s’engagea ; les Suisses refusèrent de se rendre ; ils furent impitoyablement massacrés. Le brave commandant Dufay périt et son corps fut traîné dans les rues par les insurgés. Quelques Suisses seulement parvinrent à échapper au massacre ; la caserne envahie par le peuple fut livrée au pillage. — La lutte héroïque de la caserne Babylone devait être l’adieu des Suisses à la France ; comme leurs pères en 1792, ils tinrent jusqu’au bout le serment qu’ils avaient prêté au Roi, et moururent pour lui. »

  1. Casimir-Louis-Victurnien de Rochechouart, prince de Tonnay-Charente, duc de Mortemart (1787-1875). Après avoir servi sous l’Empire, il fut, à la première Restauration, nommé pair de France et colonel des Cent-Suisses, que son grand-père, le duc de Brissac, avait commandés en 1789. Aux Cent-Jours, il suivit le roi à Gand, et, au retour, fut nommé maréchal de camp et major-général de la Garde nationale de Paris (14 octobre 1815). Au mois d’avril 1828, il fut envoyé comme ambassadeur à Saint-Pétersbourg ; revenu en France au commencement de 1830, il allait partir pour les eaux lorsqu’il apprit la publication des Ordonnances. Après les journées de Juillet, il continua de siéger à la chambre des pairs, et, sous le second Empire, il accepta de faire partie du Sénat (27 mars 1852). Il assista du reste fort peu aux séances, se tint également à l’écart de la nouvelle cour et se consacra aux œuvres de charité. — Sur son rôle pendant les journées de Juillet, voir les Mémoires pour servir à l’histoire de la Révolution de 1830, par M. Alexandre Mazas. M. Mazas était secrétaire du duc de Mortemart.