Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t5.djvu/300

Cette page a été validée par deux contributeurs.
286
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

quartier général. La manutention, qu’on avait oublié de faire suffisamment garder, fut enlevée. M. le duc de Raguse, homme d’esprit et de mérite, brave soldat, savant, mais malheureux général, prouva pour la millième fois qu’un génie militaire est insuffisant aux troubles civils : le premier officier de police eût mieux su ce qu’il y avait à faire que le maréchal. Peut-être aussi son intelligence fut-elle paralysée par ses souvenirs ; il resta comme étouffé sous le poids de la fatalité de son nom.

Le maréchal qui n’avait qu’une poignée d’hommes, conçut un plan pour l’exécution duquel il lui aurait fallu trente mille soldats. Des colonnes étaient désignées pour de grandes distances, tandis qu’une autre s’emparerait de l’Hôtel de Ville. Les troupes, après avoir achevé leur mouvement pour faire régner l’ordre de toutes parts, devaient converger à la maison commune. Le Carrousel demeurait le quartier général : les ordres en sortaient, et les renseignements y aboutissaient. Un bataillon de Suisses, pivotant sur le marché des Innocents, était chargé d’entretenir la communication entre les forces du centre et celles qui circulaient à la circonférence. Les soldats de la caserne Popincourt s’apprêtaient par différents rameaux à descendre sur les points où ils pouvaient être appelés. Le général Latour-Maubourg[1] était logé

  1. Marie-Victor-Nicolas de Fay, marquis de Latour-Maubourg (1768-1850). Il avait servi avec éclat sous l’Empire. À la bataille de la Moskowa, commandant une des divisions de la réserve de cavalerie, il prit part à la célèbre charge contre la grande redoute de Borodino et fut blessé au moment où ses cuirassiers y pénétraient. À Leipsick, il eut la cuisse emportée par un boulet de canon. À son valet de chambre, qui était accouru et se livrait