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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

plaisais à voir la valentia muralis et la fumeterre des chèvres s’incliner au vent sur les vieux murs. Je me promenais sous les galeries à double étage, élevées d’après les dessins de Bramante. Ces pavés seront battus des pluies de l’automne, ces brins d’herbe frémiront au souffle de l’Adriatique longtemps après que j’aurai passé.

« À minuit j’étais retiré dans un lit de huit pieds carrés, consacré par Bonaparte ; une veilleuse éclairait à peine la nuit de ma chambre ; tout à coup une petite porte s’ouvre, et je vois entrer mystérieusement un homme menant avec lui une femme voilée. Je me soulève sur le coude et le regarde ; il s’approche de mon lit et se hâte, en se courbant jusqu’à terre, de me faire mille excuses de troubler ainsi le repos de M. l’ambassadeur : mais il est veuf ; il est un pauvre intendant ; il désire marier sa ragazza, ici présente : malheureusement il lui manque quelque chose pour la dot. Il relève le voile de l’orpheline : elle était pâle, très jolie et tenait les yeux baissés avec une modestie convenable. Ce père de famille avait l’air de vouloir s’en aller et laisser la fiancée m’achever son histoire. Dans ce pressant danger, je ne demandai point à l’obligeant infortuné, comme demanda le bon chevalier à la mère de la jeune fille de Grenoble, si elle était vierge ; tout ébouriffé, je pris quelques pièces d’or sur la table près de mon lit ; je les donnai, pour faire honneur au roi mon maître, à la zitella, dont les yeux n’étaient pas enflés à force d’avoir pleuré. Elle me baisa la main avec une reconnaissance infinie. Je ne prononçai pas un