Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t5.djvu/276

Cette page a été validée par deux contributeurs.
264
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

L’adresse fut votée à la majorité de deux cent vingt et une voix contre cent quatre-vingt-une. Un amendement de M. de Lorgeril[1] faisait disparaître la phrase sur le refus du concours. Cet amendement n’obtint que vingt-huit suffrages. Si les deux cent vingt et un avaient pu prévoir le résultat de leur vote, l’adresse eût été rejetée à une immense majorité. Pourquoi la Providence ne lève-t-elle pas quelquefois un coin du voile qui couvre l’avenir ! Elle en donne, il est vrai, un pressentiment à certains hommes ; mais ils n’y voient pas assez clair pour bien s’assurer de la route ; ils craignent de s’abuser, ou, s’ils s’aventurent dans des prédictions qui s’accomplissent, on ne les croit pas. Dieu n’écarte point la nuée du fond de laquelle il agit ; quand il permet de grands maux, c’est qu’il a de grands desseins ; desseins étendus dans un plan général, déroulés dans un profond horizon hors de la

  1. Cet amendement était ainsi conçu : « Cependant notre honneur, notre conscience, la fidélité que nous vous avons jurée et que nous vous garderons toujours, nous imposent le devoir de faire connaître à Votre Majesté qu’au milieu des sentiments unanimes de respect et d’affection dont votre peuple vous entoure, de vives inquiétudes se sont manifestées à la suite des changements survenus depuis la dernière session. C’est à la haute sagesse de Votre Majesté qu’il appartient de les apprécier et d’y apporter le remède qu’elle croira convenable. Les prérogatives de la couronne placent dans ses mains augustes les moyens d’assurer cette harmonie constitutionnelle aussi nécessaire à la force du trône qu’au bonheur de la France. » M. Guizot et M. Berryer firent tous deux leur début sur cet amendement, qu’avaient inspiré les amis de M. de Martignac ; M. Guizot le repoussa, comme tenant au roi un langage trop faible ; Berryer, comme attaquant les droits de la couronne. — Le comte de Lorgeril (1778-1843) était entré à la Chambre en 1828, comme député d’Ille-et-Vilaine, en remplacement de M. de Corbière, nommé pair de France. Il ne fut pas réélu aux élections de juin-juillet 1830.