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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

manie du suicide, avait eu plusieurs fois l’envie de rendre sa mort utile à son parti par quelque coup d’éclat ; il était chargé du matériel de la feuille républicaine : MM. Thiers, Mignet et Carrel en étaient les rédacteurs. Le patron du National, M. le prince de Talleyrand, n’apportait pas un sou à la caisse ; il souillait seulement l’esprit du journal en versant au fonds commun son contingent de trahison et de pourriture. Je reçus à cette occasion le billet suivant de M. Thiers :

Monsieur,

« Ne sachant si le service d’un journal qui débute sera exactement fait, je vous adresse le premier

    sion, dans la Revue de Paris de juin 1830, sous ce titre : Une mort volontaire, un très bel article, dont j’extrais ces quelques lignes : « Quand on a bien connu ce faible et excellent jeune homme, on se le figure hésitant jusqu’à la dernière minute, demandant grâce encore à sa destinée, même après avoir écrit quinze fois qu’il s’est condamné, et qu’il ne peut plus vivre. Sans doute il a pleuré amèrement et longtemps sur le bord de ce lit où il s’est frappé. Peut-être il s’est agenouillé pour prier Dieu, car il y croyait ; il disait que la création aurait été une absurdité sans la vie future. Ses mains auront chargé les armes sans qu’il leur commandât presque, et, pendant ce temps, il appelait ses amis, sa mère, quelque objet d’affection plus cher encore, au secours de son âme défaillante. Il était là, s’asseyant, se levant avec anxiété, prêtant l’oreille au moindre bruit qui eût pu suspendre sa résolution ou la précipiter. Une fenêtre légèrement entr’ouverte près de son lit a montré qu’après avoir éteint sa lumière et s’être plongé dans l’obscurité, il avait fait effort pour apercevoir un peu de jour qui naissait et qui ne devait plus éclairer que son cadavre… Enfin, il a senti qu’il était seul, bien seul, abandonné de tout sur la terre ; qu’il n’y avait plus autour de lui que les fantômes créés par ses derniers souvenirs. Il a cherché un reste de force et d’attention pour ne pas se manquer, et sa main a été sûre… »