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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

« On voyait aussi dans quelque chaumière une jeune fille qui, en tournant son fuseau, embarrassait ses doigts délicats dans du chanvre ; elle n’avait pas l’habitude d’une pareille vie : c’était une Trivulce. Quand, à travers sa porte entre-bâillée, elle voyait deux lames se rejoindre dans l’étendue des flots, elle sentait sa tristesse s’accroître : cette femme avait été aimée d’un grand roi. Elle continuait d’aller tristement, par un chemin isolé, de sa chaumière à une église abandonnée et de cette église à sa chaumière.

« L’antique forêt que je traversais était composée de pins esseulés ; ils ressemblaient à des mâts de galères engravées dans le sable. Le soleil était près de se coucher lorsque je quittai Ravenne ; j’entendis le son lointain d’une cloche qui tintait : elle appelait les fidèles à la prière. »

« Ancône, 3 et 4 octobre.

« Revenu à Forli, je l’ai quitté de nouveau sans avoir vu sur ses remparts croulants l’endroit d’où la duchesse Catherine Sforze[1] déclara à ses ennemis, prêts à égorger son fils unique, qu’elle pouvait encore être mère. Pie VII, né à Césène, fut

  1. Catherine, fille naturelle de Galéas Marie Sforza, épousa en 1484 Jérôme Riario, seigneur d’Imola et de Forli, tomba, ainsi que son fils Octavien, au pouvoir des meurtriers de son mari, qui venait d’être assassiné à Forli, montra beaucoup d’esprit et d’énergie dans cette occasion, et assura ainsi à son fils son héritage. Elle soutint dans Forli un siège contre César Borgia et fut prise sur la brèche même. Louis XII lui fit rendre la liberté. Elle avait épousé en secondes noces un Médicis et mourut à Florence.