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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

ner lentement d’un bout à l’autre du cabinet. Il me dit qu’il n’acceptait point ma démission ; que le roi ne l’acceptait pas ; qu’il fallait que je retournasse à Rome. Toutes les fois qu’il répétait cette dernière phrase, il me crevait le cœur : « Pourquoi, me disait-il, ne voulez-vous pas être dans les affaires avec moi comme avec la Ferronnays et Portails ? Ne suis-je pas votre ami ? Je vous donnerai à Rome tout ce que vous voudrez ; en France, vous serez plus ministre que moi, j’écouterai vos conseils. Votre retraite peut faire naître de nouvelles divisions. Vous ne voulez pas nuire au gouvernement ? Le roi sera fort irrité si vous persistez à vouloir vous retirer. Je vous en supplie, cher vicomte, ne faites par cette sottise. »

Je répondis que je ne faisais pas une sottise ; que j’agissais dans la pleine conviction de ma raison ; que son ministère était très impopulaire ; que ces préventions pouvaient être injustes, mais qu’enfin elles existaient ; que la France entière était persuadée qu’il attaquerait les libertés publiques, et que moi, défenseur de ces libertés, il m’était impossible de m’embarquer avec ceux qui passaient pour en être les ennemis. J’étais assez embarrassé dans cette réplique, car, au fond, je n’avais rien à objecter d’immédiat aux nouveaux ministres ; je ne pouvais les attaquer que dans un avenir qu’ils étaient en droit de nier. M. de Polignac me jurait qu’il aimait la charte autant que moi ; mais il l’aimait à sa manière, il l’aimait de trop près. Malheureusement, la tendresse que l’on montre à une fille que l’on a déshonorée lui sert peu.

La conversation se prolongea sur le même texte