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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

j’étais d’une incrédulité complète. Enfin, les journaux arrivent : je les ouvre, et mes yeux sont frappés de l’ordonnance officielle qui confirme les bruits répandus[1]. J’avais bien éprouvé des changements de fortune depuis que j’étais au monde, mais je n’étais jamais tombé d’une pareille hauteur. Ma destinée avait encore une fois soufflé sur mes chimères ; ce souffle du sort n’effaçait pas seulement mes illusions, il enlevait la monarchie. Ce coup me fit un mal affreux ; j’eus un moment de désespoir, car mon parti fut pris à l’instant, je sentis que je me devais retirer. La poste m’apporta une foule de lettres ; toutes m’enjoignaient d’envoyer ma démission. Des personnes même que je connaissais à peine se crurent obligées de me prescrire la retraite.

Je fus choqué de cet officieux intérêt pour ma bonne renommée. Grâce à Dieu, je n’ai jamais eu besoin qu’on me donnât des conseils d’honneur ; ma vie a été une suite de sacrifices, qui ne m’ont jamais été commandés par personne ; en fait de devoir, j’ai l’esprit prime-sautier. Les chutes me sont des ruines, car je ne possède que des dettes, dettes que je contracte dans des places où je ne demeure pas assez de temps

  1. Le Moniteur du 9 août 1829 annonça la formation du nouveau ministère. Il était ainsi composé : le prince de Polignac aux Affaires étrangères ; M. de la Bourdonnaye à l’Intérieur ; M. Courvoisier à la Justice ; M. de Chabrol aux Finances ; le général de Bourmont à la Guerre ; l’amiral de Rigny à la Marine ; M. de Montbel aux Affaires ecclésiastiques et à l’Instruction publique. — L’amiral de Rigny, neveu du baron Louis, était connu pour ses idées libérales. Nommé ministre sans avoir été consulté, il arriva le 15 à Paris et refusa d’entrer dans le cabinet. Il fut remplacé par le baron d’Haussez, préfet de Bordeaux.