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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Chambre commit une faute en renversant un ministère qu’elle aurait dû conserver à tout prix[1]. Ce ministère modéré servait de garde-fou à des abîmes ; il était aisé de le jeter bas, car il ne tenait à rien et le roi lui était ennemi ; raison de plus pour ne faire aucune chicane à ces hommes, pour leur donner une majorité à l’aide de laquelle ils se fussent maintenus et auraient fait place un jour, sans accident, à un ministère fort. En France, on ne sait rien attendre ; on a horreur de tout ce qui a l’apparence du pouvoir, jusqu’à ce qu’on le possède. Au surplus, M. de Martignac a démenti noblement ses faiblesses en dépensant avec courage le reste de sa vie dans la défense de M. de Polignac[2]. Les pieds me brûlaient à Paris ; je ne pouvais m’habituer au ciel gris et triste de la France, ma patrie ; qu’aurais-je donc pensé du ciel de la Bretagne, ma matrie, pour parler grec ? Mais là, du moins, il y a des vents de mer ou des calmes : Tu-

  1. Le 9 février 1829, M. de Martignac présenta deux projets de loi destinés à réorganiser l’administration municipale et départementale. La loi départementale fut discutée la première. Dans la séance du 8 avril, malgré les efforts de Martignac, d’Hyde de Neuville, de Vatimesnil et de Cuvier, la Chambre des députés adopta un amendement qui supprimait les conseils d’arrondissement. Une ordonnance royale, en date du même jour, retira les deux projets. Le ministère Martignac avait vécu. Il tint cependant à faire voter le budget et à rester à son poste jusqu’à la fin de la session, qui fut close le 30 juillet. Le 8 août, il faisait place au ministère Polignac.
  2. « La défense spontanée, généreuse, désintéressée de M. de Polignac, son antagoniste et son successeur, honore beaucoup le caractère inoffensif et noble de M. de Martignac. Les méditations de son plaidoyer et les émotions si dramatiques de ce procès, achevèrent de ruiner sa santé chancelante. » (Cormenin, Livre des Orateurs, T. II, p. 59.)