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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

dévastée. La nourrice et moi nous reprîmes l’enfant des mains du curé.

Io piangendo ti presi, e in breve cesta
Fuor ti portai.(Tasso.)

Le nouveau-né fut reporté à sa mère, placé sur son lit, où cette mère et sa grand’mère, madame de Rosanbo, le reçurent avec des pleurs de joie. Deux ans après, le père, le grand-père, le bisaïeul, la mère et la grand’mère avaient péri sur l’échafaud, et moi, témoin du baptême, j’errais exilé. Tels étaient les souvenirs que l’apparition subite de mon neveu fit revivre dans ma mémoire au milieu des ruines de Rome. Christian a déjà passé orphelin la moitié de sa vie ; il a voué l’autre moitié aux autels : foyers toujours ouverts du père commun des hommes.

Christian avait pour Louis, son digne frère, une amitié ardente et jalouse : lorsque Louis se fut marié, Christian partit pour l’Italie ; il y connut le duc de Rohan-Chabot, et il y rencontra madame Récamier : comme son oncle, il est revenu habiter Rome, lui dans un cloître, moi dans un palais. Il entra en religion pour rendre à son frère une fortune qu’il ne croyait pas posséder légitimement par les nouvelles lois : ainsi Malhesherbes est maintenant, avec Combourg, à Louis.

Après notre rencontre inattendue au pied du Colisée, Christian, accompagné d’un frère jésuite, me vint voir à l’ambassade : il avait le maintien triste et l’air sérieux ; jadis il riait toujours. Je lui demandai s’il était heureux ; il me répondit : « J’ai souffert longtemps ;