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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Dans les premiers jours de mon arrivée à Rome, lorsque j’errais ainsi à l’aventure, je rencontrai entre les bains de Titus et le Colisée une pension de jeunes garçons. Un maître à chapeau rabattu, à robe traînante et déchirée, ressemblant à un pauvre frère de la Doctrine chrétienne, les conduisait. Passant près de lui, je le regarde, je lui trouve un faux air de mon neveu Christian de Chateaubriand, mais je n’osais en croire mes yeux. Il me regarde à son tour, et, sans montrer aucune surprise, il me dit : « Mon oncle ! » Je me précipite tout ému et je le serre dans mes bras. D’un geste de la main il arrête derrière lui son troupeau obéissant et silencieux. Christian était à la fois pâle et noirci, miné par la fièvre et brûlé par le soleil. Il m’apprit qu’il était chargé de la préfecture des études au collège des Jésuites, alors en vacances à Tivoli. Il avait presque oublié sa langue, il s’énonçait difficilement en français, ne parlant et n’enseignant qu’en italien. Je contemplais, les yeux pleins de larmes, ce fils de mon frère devenu étranger, vêtu d’une souquenille noire, poudreuse, maître d’école à Rome, et couvrant d’un feutre de cénobite son noble front qui portait si bien le casque[1].

J’avais vu naître Christian ; quelques jours avant mon émigration, j’assistai à son baptême. Son père, son grand-père le président de Rosanbo, et son bisaïeul M. de Malesherbes, étaient présents. Celui-ci le tint sur les fonts et lui donna son nom, Christian. L’église Saint-Laurent était déserte et déjà à demi

  1. Voir, au tome I, l’Appendice no III sur Christian de Chateaubriand.