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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

la reine de l’univers païen et chrétien écrite dans les constructions, les architectures et les âges divers de ces murs.

Je vais encore à la découverte de quelque villa délabrée en dedans des murs de Rome. Je visite Sainte-Marie-Majeure, Saint-Jean-de-Latran avec son obélisque, Sainte-Croix-de-Jérusalem avec ses fleurs ; j’y entends chanter ; je prie : j’aime à prier à genoux ; mon cœur est ainsi plus près de la poussière et du repos sans fin : je me rapproche de la tombe.

Mes fouilles ne sont qu’une variété des mêmes plaisirs. Du plateau de quelque colline on aperçoit le dôme de Saint-Pierre. Que paye-t-on au propriétaire du lieu où sont enfouis des trésors ? La valeur de l’herbe détruite par la fouille. Peut-être rendrai-je mon argile à la terre en échange de la statue qu’elle me donnera : nous ne ferons que troquer une image de l’homme contre une image de l’homme.

On n’a point vu Rome quand on n’a point parcouru les rues de ses faubourgs mêlées d’espaces vides, de jardins pleins de ruines, d’enclos plantés d’arbres et de vignes, de cloîtres où s’élèvent des palmiers et des cyprès, les uns ressemblant à des femmes de l’Orient, les autres à des religieuses en deuil. On voit sortir de ces débris de grandes Romaines, pauvres et belles, qui vont acheter des fruits ou puiser de l’eau aux cascades versées par les aqueducs des empereurs et des papes. Pour apercevoir les mœurs dans leur naïveté, je fais semblant de chercher un appartement à louer ; je frappe à la porte d’une maison retirée ; on me répond : Favorisca. J’entre : je trouve, dans des chambres nues, ou un ouvrier exerçant son métier, ou une