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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

événements firent évanouir ces songes gigantesques en détruisant d’énormes réalités.

Dans les projets arrêtés était celui de construire une suite de quais depuis Ripetta jusqu’à Ripa grande : ces quais auraient été plantés ; les quatre îlots de maisons entre le château Saint-Ange et la place Rusticucci étaient achetés en partie et auraient été démolis. Une large allée eût été ainsi ouverte sur la place Saint-Pierre, qu’on eût aperçue du pied du château Saint-Ange.

Les Français font partout des promenades : j’ai vu au Caire un grand carré qu’ils avaient planté de palmiers et environné de cafés, lesquels portaient des noms empruntés aux cafés de Paris : à Rome, mes compatriotes ont créé le Pincio ; on y monte par une rampe. En descendant cette rampe, je vis, l’autre jour, passer une voiture dans laquelle était une femme encore de quelque jeunesse : à ses cheveux blonds, au galbe mal ébauché de sa taille, à l’inélégance de sa beauté, je l’ai prise pour une grasse et blanche étrangère de la Westphalie ; c’était madame Guiccioli : rien ne s’arrangeait moins avec le souvenir de lord Byron. Qu’importe ? la fille de Ravenne (dont au reste le poète était las lorsqu’il prit le parti de mourir) n’en ira pas moins, conduite par la Muse, se placer dans l’Élysée en augmentant les divinités de la tombe.

La partie occidentale de la place du Peuple devait être plantée dans l’espace qu’occupent des chantiers et des magasins ; on eût aperçu, de l’extrémité du cours, le Capitole, le Vatican et Saint-Pierre au delà des quais du Tibre, c’est-à-dire Rome antique et Rome moderne.