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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

d’un pardon. Il répondit à l’un de ses parents : « Si pour retourner à Florence il n’est d’autre chemin que celui qui m’est ouvert, je n’y retournerai point. Je puis partout contempler les astres et le soleil. » Dante dénia ses jours aux Florentins, et Ravenne leur a dénié ses cendres, alors même que Michel-Ange, génie ressuscité du poète, se promettait de décorer à Florence le monument funèbre de celui qui avait appris come l’uom s’eterna[1].

« Le peintre du Jugement dernier, le sculpteur de Moïse, l’architecte de la Coupole de Saint-Pierre, l’ingénieur du vieux bastion de Florence, le poète des Sonnets adressés à Dante, se joignit à ses compatriotes et appuya de ces mots la requête qu’ils présentèrent à Léon X : « Io Michel Agnolo, scultore, il medesimo a Vostra Santità supplico, offerendomi al divin poeta fare la sepoltura sua condecente e in loco onorevole in questa città. »

« Michel-Ange, dont le ciseau fut trompé dans son espérance, eut recours à son crayon pour élever à cet autre lui-même un autre mausolée. Il dessina les principaux sujets de la Divina Commedia sur les marges d’un exemplaire in-folio des œuvres du grand poète ; un navire, qui portait de Livourne à Citiva-Vecchia ce double monument, fit naufrage.

« Je m’en revenais tout ému et ressentant quelque chose de cette commotion mêlée d’une terreur divine que j’éprouvai à Jérusalem, lorsque mon cicerone m’a proposé de me conduire à la maison de

  1. Quando nel mondo ad ora adora
    M’insegnavate come l’uom s’éterna.

    (L’Enfer, chant XV, vers 84-85.)