Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t5.djvu/226

Cette page a été validée par deux contributeurs.
214
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

ambassadeur, que Richelieu, cette forte tête, lequel, non content de dicter des traités de controverse, de rédiger des mémoires et des histoires, inventait incessamment des sujets dramatiques, rimaillait avec Malleville et Boisrobert, accouchait, à la sueur de son front, de l’Académie et de la Grande Pastorale ? Est-ce parce qu’il était méchant écrivain qu’il fut grand ministre ? Mais la question n’est pas du plus ou du moins de talent ; elle est de la passion de l’encre et du papier : or jamais M. de l’Empyrée[1] ne montra plus d’ardeur, ne fit plus de frais que le cardinal pour ravir la palme du Parnasse, jusque-là que la mise en scène de sa tragi-comédie de Mirame lui coûta deux cent mille écus ! Si dans un personnage à la fois politique et littéraire la médiocrité du poète fait la supériorité de l’homme d’État, il faudrait en conclure que la faiblesse de l’homme d’État résulterait de la force du poète : cependant le génie des lettres a-t-il détruit le génie politique de Solon, élégiaque égal à Simonide, de Périclès dérobant aux Muses l’éloquence avec laquelle il subjuguait les Athéniens ; de Thucydide et de Démosthène, qui portèrent si haut la gloire de l’écrivain et de l’orateur, tout en consacrant leurs jours à la guerre et à la place publique ? A-t-il détruit le génie de Xénophon, qui opérait la retraite des dix-mille, tout en rêvant la Cyropédie ; des deux Scipions, l’un

  1. C’est le nom que prend Damis, dans la Métromanie, de Piron (acte I, scène VIII) :
    MONDOR
    Votre nom maintenant, c’est donc ?
    DAMIS
    De l’Empyrée ;
    Et j’en oserais bien garantir la durée.