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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

est double ; je ne suis pas plus échauffé pour ma personne que pour le fait. Le mépris du monde venait à saint Paul ermite de sa foi religieuse ; le dédain de la société me vient de mon incrédulité politique. Cette incrédulité me porterait haut dans une sphère d’action, si, plus soigneux de mon sot individu, je savais en même temps l’humilier et le vêtir. J’ai beau faire, je reste un benêt d’honnête homme, naïvement hébété et tout nu, ne sachant ni ramper, ni prendre.

D’Andilly[1], parlant de lui, semble avoir peint un côté de mon caractère : « Je n’ai jamais eu aucune ambition, dit-il, parce que j’en avais trop, ne pouvant souffrir cette dépendance qui resserre dans des bornes si étroites les effets de l’inclination que Dieu m’a donnée pour des choses grandes, glorieuses à l’État et qui peuvent procurer la félicité des peuples, sans qu’il m’ait été possible d’envisager en tout cela mes intérêts particuliers. Je n’étais propre que pour un roi qui aurait régné par lui-même et qui n’aurait eu d’autre désir que de rendre sa gloire immortelle. » Dans ce cas, je n’étais pas propre aux rois du jour.

Maintenant que je vous ai conduit par la main dans les plus secrets détours de mes mérites, que je vous

    Bibliothèque nationale et membre de l’Académie des inscriptions, il consacra trente ans de sa vie à son grand ouvrage, la Description des médailles grecques et romaines, avec leur degré de rareté et leur estimation (1806-1837, 15 vol. in-8o).

  1. Robert Arnauld, dit d’Andilly, (1589-1674), fils d’Antoine Arnauld, le célèbre avocat, et frère du grand Arnauld. Son fils, Simon Arnauld, marquis de Pomponne, fut l’un des ministres de Louis XIV. Arnauld d’Andilly a laissé des Mémoires sur sa vie, publiés en 1734, ainsi qu’un Journal, qui n’a paru qu’en 1857.