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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

maintenant couverts de verdure et de fleurs. Toutes les ruines semblent rajeunir avec l’année : je suis du nombre. »

« Mercredi saint, 15 avril.

« Je sors de la chapelle Sixtine, après avoir assisté à ténèbres et entendu chanter le Miserere. Je me souvenais que vous m’aviez parlé de cette cérémonie et j’en étais à cause de cela cent fois plus touché.

« Le jour s’affaiblissait ; les ombres envahissaient lentement les fresques de la chapelle et l’on n’apercevait plus que quelques grands traits du pinceau de Michel-Ange. Les cierges, tour à tour éteints, laissaient échapper de leur lumière étouffée une légère fumée blanche, image assez naturelle de la vie que l’Écriture compare à une petite vapeur[1]. Les cardinaux étaient à genoux, le nouveau pape prosterné au même autel où quelques jours avant j’avais vu son prédécesseur ; l’admirable prière de pénitence et de miséricorde, qui avait succédé aux Lamentations du prophète, s’élevait par intervalles dans le silence et la nuit. On se sentait accablé sous le grand mystère d’un Dieu mourant pour effacer les crimes des hommes. La catholique héritière sur ses sept collines était là avec tous ses souvenirs ; mais, au lieu de ces pontifes puissants, de ces cardinaux qui disputaient la préséance aux monarques, un pauvre vieux pape paralytique, sans famille et sans appui, des princes de l’Église sans éclat, an-

  1. Umbræ enim transitus est tempus nostrum. (Livre de la Sagesse.)