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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

quelques vieux jours ? Personne ne se soucie d’habiter une ruine.

« Au village même du Simplon, j’ai vu le premier sourire d’une heureuse aurore. Les rochers, dont la base s’étendait noircie à mes pieds, resplendissaient de rose au haut de la montagne, frappés des rayons du soleil. Pour sortir des ténèbres, il suffit de s’élever vers le ciel.

« Si l’Italie avait déjà perdu pour moi de son éclat lors de mon voyage à Vérone en 1822, dans cette année 1828 elle m’a paru encore plus décolorée ; j’ai mesuré les progrès du temps. Appuyé sur le balcon de l’auberge à Arona, je regardais les rivages du lac Majeur, peints de l’or du couchant et bordés de flots d’azur. Rien n’était doux comme ce paysage, que le château bordait de ses créneaux. Ce spectacle ne me portait ni plaisir ni sentiment. Les années printanières marient à ce qu’elles voient leurs espérances ; un jeune homme va errant avec ce qu’il aime, ou avec les souvenirs du bonheur absent. S’il n’a aucun lien, il en cherche ; il se flatte à chaque pas de trouver quelque chose ; des pensées de félicité le suivent : cette disposition de son âme se réfléchit sur les objets.

« Au surplus, je m’aperçois moins du rapetissement de la société actuelle lorsque je me trouve seul. Laissé à la solitude dans laquelle Bonaparte a laissé le monde, j’entends à peine les générations débiles qui passent et vagissent au bord du désert. »