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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

d’une femme selon la chair, et pourtant Dieu et fils de Dieu, comme ses œuvres le prouvent.

Les papes eurent mission de venger et de maintenir les droits de l’homme ; chefs de l’opinion humaine, ils obtinrent, tout faibles qu’ils étaient, la force de détrôner les rois avec une parole et une idée : ils n’avaient pour soldat qu’un plébéien, la tête couverte d’un froc et la main armée d’une croix. La papauté, marchant à la tête de la civilisation, s’avança vers le but de la société. Les hommes chrétiens, dans toutes les régions du globe, obéirent à un prêtre dont le nom leur était à peine connu, parce que ce prêtre était la personnification d’une vérité fondamentale ; il représentait en Europe l’indépendance politique détruite presque partout ; il fut dans le monde gothique le défenseur des franchises populaires, comme il devint dans le monde moderne le restituteur des sciences, des lettres et des arts. Le peuple s’enrôla dans ses milices sous l’habit d’un frère mendiant,

La querelle de l’empire et du sacerdoce est la lutte des deux principes sociaux au moyen âge, le pouvoir et la liberté. Les papes, favorisant les Guelfes, se déclaraient pour les gouvernements des peuples ; les empereurs, adoptant les Gibelins, poussaient au gouvernement des nobles ; c’étaient précisément le rôle qu’avaient joué les Athéniens et les Spartiates dans la Grèce. Aussi, lorsque les papes se rangèrent du côté des rois, lorsqu’ils se firent Gibelins, ils perdirent leur pouvoir, parce qu’ils se détachèrent de leur principe naturel ; et, par une raison opposée, et cependant analogue, les moines ont vu décroître leur autorité, lorsque la liberté politique est revenue directement