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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

« Rome, ce 10 février 1829.
« Monsieur le comte,

« J’ai expédié à Lyon, il y a environ deux heures, le courrier extraordinaire à cheval qui vous transmettra la nouvelle imprévue et déplorable de la mort de Sa Sainteté. Maintenant je fais partir M. le comte de Montebello[1], attaché à l’ambassade, pour vous porter quelques détails nécessaires.

« Le pape est mort de cette affection hémorroïdale à laquelle il était sujet. Le sang, s’étant porté sur la vessie, occasionna une rétention qu’on essaya de

  1. Napoléon-Auguste, duc de Montebello (1801-1874), fils du maréchal Lannes. En considération des services militaires rendus par son père, tué glorieusement à Essling, il avait été nommé pair de France le 27 janvier 1827, mais il ne prit séance qu’après la révolution de Juillet. Dans l’intervalle, il avait voyagé aux États-Unis, puis avait été attaché à l’ambassade de France à Rome. Il devint en 1836 ambassadeur de France près la Confédération helvétique, et, en 1838, ambassadeur à Naples. Ministre de la Marine, du 9 mai 1847 au 24 février 1848, représentant du peuple à l’Assemblée législative, de 1849 à 1851, il fut nommé sénateur le 5 octobre 1864 et remplit les fonctions d’ambassadeur à Saint-Pétersbourg, du 15 février 1858 au 6 janvier 1866. — Alors qu’il était à Rome secrétaire de l’ambassade, il demanda un jour à Chateaubriand, en présence de M. de Marcellus, la permission d’aller voir sa marraine, la duchesse de Saint Leu, qu’une loi tenait éloignée du royaume. « Allez, monsieur, allez », lui dit l’ambassadeur ; « à Dieu ne plaise que je vous en empêche ! Portez-lui mes hommages. La liberté n’a plus rien à craindre de la gloire. » — Lorsque le jeune attaché fut sorti, Chateaubriand dit à M. de Marcellus : « L’un des grands griefs qui m’a fait éloigner de Rome quand j’y étais premier secrétaire de l’ambassade du cardinal Fesch, c’est une visite au roi de Sardaigne retiré du trône, visite, disait-on, qui sentait le royaliste et l’émigré. Aujourd’hui, ambassadeur à Rome à mon tour, c’est moi qui envoie un de mes officiers saluer une reine en retraite et proscrite : ma vie est pleine de ces contrastes. »