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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

zaine d’hommes armés de bêches et de pioches, qui déterraient des tombeaux et des décombres de maisons et de palais dans une profonde solitude, offraient un spectacle digne de vous. Je faisais un seul vœu : c’était que vous fussiez là. Je consentirais volontiers à vivre avec vous sous une tente au milieu de ces débris.

« J’ai mis moi-même la main à l’œuvre ; j’ai découvert des fragments de marbre : les indices sont excellents, j’espère trouver quelque chose qui me dédommagera de l’argent perdu à cette loterie des morts ; j’ai déjà un bloc de marbre grec assez considérable pour faire le buste du Poussin. Cette fouille va devenir le but de mes promenades ; je vais aller m’asseoir tous les jours au milieu de ces débris. À quel siècle, à quels hommes appartenaient-ils ? Nous remuons peut-être la poussière la plus illustre sans le savoir. Une inscription viendra peut-être éclairer quelque fait historique, détruire quelque erreur, établir quelque vérité. Et puis, quand je serai parti avec mes douze paysans demi-nus, tout retombera dans l’oubli et le silence. Vous représentez-vous toutes les passions, tous les intérêts qui s’agitaient autrefois dans ces lieux abandonnés ? Il y avait des maîtres et des esclaves, des heureux et des malheureux, de belles personnes qu’on aimait et des ambitieux qui voulaient être ministres. Il y reste quelques oiseaux et moi, encore pour un temps fort court ; nous nous envolerons bientôt. Dites-moi, croyez-vous que cela vaille la peine d’être un des membres du conseil d’un petit roi des Gaules, moi, barbare de l’Armorique, voya-