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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

France, et un penchant visible à oublier nos anciens malheurs au pied des autels ; mais aussi il y a un véritable attachement aux institutions apportées par les fils de saint Louis. On ne saurait calculer le degré de puissance auquel serait parvenu le clergé, s’il s’était montré à la fois l’ami du roi et de la charte. Je n’ai cessé de prêcher cette politique dans mes écrits et dans mes discours ; mais les passions du moment ne voulaient pas m’entendre et me prenaient pour un ennemi. »

« Le pape m’avait écouté avec la plus grande attention.

« — J’entre dans vos idées, m’a-t-il dit après un moment de silence. Jésus-Christ ne s’est point prononcé sur la forme des gouvernements. Rendez à César ce qui appartient à César veut seulement dire : obéissez aux autorités établies. La religion catholique a prospéré au milieu des républiques comme au sein des monarchies ; elle fait des progrès immenses aux États-Unis ; elle règne seule dans les Amériques espagnoles. »

« Ces mots sont très remarquables, monsieur le comte, au moment même où la cour de Rome incline fortement à donner l’institution aux évêques nommés par Bolivar[1].

« Le pape a repris : « Vous voyez quelle est

  1. Simon Bolivar (1783-1830), le libérateur de l’Amérique espagnole. Il réunit en une seule république, sous le nom de Colombie, le Vénézuela et la Nouvelle-Grenade (1819), proclama l’indépendance du Pérou (1822), et fonda au sud de ce pays un nouvel état qui prit le nom de Bolivie et auquel il donna une constitution (1826). Il fut à différentes reprises président des États qu’il avait affranchis.