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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

principes de cette Note ? Non, sans doute : gagner du temps est un grand art quand on n’est pas prêt. On peut savoir ce qu’il y aurait de mieux, et se contenter de ce qu’il y a de moins mauvais ; les vérités politiques, surtout, sont relatives ; l’absolu, en matière d’État, a de graves inconvénients. Il serait heureux pour l’espèce humaine que les Turcs fussent jetés dans le Bosphore, mais nous ne sommes pas chargés de l’expédition et l’heure du mahométisme n’est peut-être pas sonnée : la haine doit être éclairée pour ne pas faire de sottises. Rien ne doit donc empêcher la France d’entrer dans des négociations, en ayant soin de les rapprocher le plus possible de l’esprit dans lequel cette Note est rédigée. C’est aux hommes qui tiennent le timon des empires à les gouverner selon les vents, en évitant les écueils.

« Certes, si le puissant souverain du Nord consentait à réduire les conditions de la paix à l’exécution du traité d’Akkerman et à l’émancipation de la Grèce, il serait possible de faire entendre raison à la Porte ; mais quelle probabilité y a-t-il que la Russie se renferme dans des conditions qu’elle aurait pu obtenir sans tirer un coup de canon ? Comment abandonnerait-elle des prétentions si hautement et si publiquement exprimées ? Un seul moyen, s’il en est un, se présenterait : proposer un congrès général où l’empereur Nicolas céderait ou aurait l’air de céder au vœu de l’Europe chrétienne. Un moyen de succès auprès des hommes, c’est de sauver leur amour-propre, de leur fournir une raison de dégager leur parole et de sortir d’un mauvais pas avec honneur.