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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

sommes appelés, sommes-nous tout à fait prêts à y paraître ? Nos places fortes sont-elles réparées ? Avons-nous le matériel nécessaire pour une nombreuse armée ? Cette armée est-elle même au complet du pied de paix ? Si nous étions réveillés brusquement par une déclaration de guerre de l’Angleterre, de la Prusse et des Pays-Bas, pourrions-nous nous opposer efficacement à une troisième invasion ? Les guerres de Napoléon ont divulgué un fatal secret : c’est qu’on peut arriver en quelques journées de marche à Paris après une affaire heureuse ; c’est que Paris ne se défend pas ; c’est que ce même Paris est beaucoup trop près de la frontière. La capitale de la France ne sera à l’abri que quand nous posséderons la rive gauche du Rhin. Nous pouvons donc avoir besoin d’un temps quelconque pour nous préparer.

« Ajoutons à tout cela que les vices et les vertus des princes, leur force et leur faiblesse morale, leur caractère, leurs passions, leurs habitudes même, sont des causes d’actes et de faits rebelles aux calculs, et qui ne rentrent dans aucune formule politique : la plus misérable influence détermine quelquefois le plus grand événement dans un sens contraire à la vraisemblance des choses ; un esclave peut faire signer à Constantinople une paix que toute l’Europe, conjurée ou à genoux, n’obtiendrait pas.

« Que si donc quelqu’une de ces raisons placées hors de la prévoyance humaine amenait, durant cet hiver, des demandes de négociations, faudrait-il les repousser si elles n’étaient pas d’accord avec les